Juan José Saer
Grande fugue
Le Seuil, 2007

Par Perrine Guéguen


Le dernier roman de Juan José Saer, Grande Fugue, est l’aboutissement d’une œuvre. En effet, à la manière d’une Recherche, il fait apparaître des liens entre les personnages qui peuplent un univers littéraire que l’on connaissait déjà – comme Nula, récemment apparu, ou Gutiérrez, Tomatis –, des précisions ou des découvertes sur leurs vies, des variations – s’appuyant sur une prose musicale et légère – autour de thèmes chers à l’auteur, bouclant la boucle pourrait-on dire. Mais si ce roman est le point d’arrivée, il peut aussi constituer pour tout nouveau lecteur une initiation à l’œuvre saerienne, créant ainsi une certaine circularité. L’histoire se déroule en sept jours, du mardi au lundi, et reste inachevée – il lui manque onze pages. L’intrigue est à l’image de son auteur, cet Argentin de maté et d’assado : c’est celle de l’organisation de cette réunion amicale. La narration suit un va-et-vient entre présent et passé, mais comme dans le « kaléidoscope de la perception », le temps empirique semble s’effacer au profit du « devenir » : « Durant quelques secondes, la surface plombée et légèrement ondulée absorbe les pensées de Nula, et dans chacune des vaguelettes hérissées, identiques, en mou- vement continu, [...] il lui semble assister à la représentation visible du devenir qui, de s’exhiber parfois dans ce qui advient au travers de la répétition ou de l’immobilité trompeuse, donne à nos sens grossiers l’illusion de la stabilité. » Mille nuances subtiles constituent ce monde changeant : une génération succède à une autre, l’écriture nous donne à voir un éventail de sensations, d’observations minutieuses. Elle nous donne presque à toucher et à sentir ce passé toujours réactualisé – notamment dans le passage décrivant l’enfance de Nula. Ce qu’il reste de ces incessantes fluctuations, de ces destins qui sont arrivés à l’automne de leur vie, c’est l’art de la conversation. Conversations aux notes pessimistes, ironiques, touchantes ou incisives : en somme, la prose d’un des plus grands écrivains sud américains du XXe siècle.


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