Jacques-Alain Miller
Vie de Lacan
Volumen, 2011

Par Daphné Leimann


«   Vie de Lacan, vie de Miller bien sûr » commente Philippe Sollers. «  La personne de Lacan, je fus soudain enchanté de la faire vivre, palpiter, de la faire danser » tel est le projet énoncé par J.-A Miller. Le texte est à la hauteur de l’intention, ceux que l’on a cherché à enterrer mort (Lacan) ou vivant (Jacques-Alain Miller), par la plume de JAM vivent, palpitent et dansent.
Cela, parce que l’auteur prend ses distances avec la biographie qui, dans sa forme servile adopte le voile du devoir de véracité: « par vie de Lacan, j’entends tout autre chose qu’une biographie », écrit-il. Vie de Lacan, la formule est suggérée par le genre littéraire « vie des hommes illustres » découvert par le tout jeune J.-A. Miller en classe de sixième.
«  L’érudit nous apprend que l’écriture de la Vie est une toute autre discipline que l’histoire. » Alors que cette dernière est soucieuse d’exactitude,  la première est du registre de l’éthique. « Quelle fut l’éthique de sa vie, et quoi en a fait preuve, dans son être comme dans son existence ? », ainsi s’énonce la question à l’œuvre dans le texte. Dès lors il s’agit, comme le préconisait Plutarque, de révéler le caractère par « un  petit fait, un mot, une bagatelle ». D’où ces formules de JAM : « les biographies sont nécessairement des romans », «  les meilleures l’avouent ; les autres miment la science ».
Autant que la méthode, le sujet dicte l’orientation du projet de cette Vie de Lacan. En effet, parce que Lacan était un analyste et que les analystes sont selon l’expression de Lacan des épars désassortis, « on ne peut vouloir faire de Lacan un exemple, ni un contre-exemple ». Le texte le rappelle, «  Lacan voulut être une exception ». Cela avait pu  transparaître dans les propos qu’il avait adressés aux révoltés de 1968 en faisant savoir qu’il avait fait passer sa révolte dans la psychanalyse. Lacan inventeur du Nom-du-père comme pivot de la loi de l’Oedipe est aussi celui qui dit être un « malgré-la-loi ». Jacques-Alain Miller nous en donne un aperçu dans quelques « petits faits et bagatelles » telle que l’anecdote de Lacan trouvant « absolument intolérable » d’avoir à s’arrêter aux feux rouges, « signe de cette intolérance pure et simple au signal stop ». Ce rapport à l’impatience, marque de ce mode d’être singulier, JAM nous le donne aussi à saisir dans ce qui pouvait se loger dans ses manières dictées par l’urgence. Tel ce cri «  OOOOhhhh ! » lancé d’un seul souffle au garçon de café qui passait sans le voir. De ces traits d’impatience, Jacques-Alain Miller déduit que Lacan « incarnait ce qu’il y a d’énigmatique, de peu rassurant, voire d’inhumain dans le désir, incarnant le que veux-tu, point-pivot du désir. »  Loin de la maxime cartésienne « Tâcher plutôt à changer mes désirs que l’ordre du monde », il entendait changer le train des choses. Une insurrection vigilante, perpétuelle, ramassée dans les derniers mots de Lacan avant de tomber dans le coma : «  je suis obstiné ». Ce sens de la révolte, le texte en donne une formule saisissante par un emprunt à Cocteau : « savoir jusqu’où on peut aller trop loin ».
Paradoxal aussi est le Lacan enseignant, faisant résonner le «  je me suis fait tout à tous, pour les sauver tous » de l’Épître aux Corinthiens sans pour autant renoncer à être lui. Car, note Jacques-Alain Miller, dans sa manière d’enseigner, il était lui, sans concessions, incomparable, avec son cortège de mathèmes et pourtant il venait chercher chacun où il était.
 
Pour conclure Jacques-Alain Miller s’arrête sur son choix de savoir aussi se taire, mettant en acte dans cette Vie de Lacan l’éthique de la psychanalyse, éthique du Bien-dire et non du tout-dire. Admirable en cet art du Bien-dire, Vie de Lacan est un texte palpitant et vivant.





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