Naomi Klein
La Stratégie du choc
Léméac - Actes Sud, 2008

Par Alexandra Renault

Dans son troisième livre, la journaliste canadienne Naomi Klein nous offre ce que nous attendons en vain de la gauche socialiste française : une clarification des principes de la politique néo-libérale, un diagnostic des effets anti-démocratiques de l’application de ces principes, et enfin une vraie motivation pour ne pas sombrer dans une attitude démissionnaire du genre « je suis de gauche, mais libéral ! »...
    D’abord, les principes de la politique néo-libérale, ou néo-conservatrice, ou « droite dure ». Il n’est pas étonnant que cette politique soit difficilement identifiable puisqu’il s’agit en fait d’une doctrine économique, initiée par Milton Friedman dans les années 1950 à l’université de Chicago, qui vise à détruire le politique en tant que tel. D’après Friedman, les libertés politiques sont en effet accessoires par rapport à la liberté du marché, qui serait seule à pouvoir engendrer croissance, prospérité et donc liberté (l’assimilation de ces termes étant significative). Ainsi, la politique ne peut servir qu’à appliquer sans entraves cette doctrine, selon trois axes : déréglementation du marché commercial et financier, privatisation des entreprises publiques, et réduction maximale des dépenses sociales – c’est-à-dire une annulation du rôle de l’État dans la vie économique et, à terme, une disparition de l’espace public au profit des seuls intérêts privés.
    Ensuite, l’analyse des effets de cette « politique » au cours des trente dernières années. Puisque les peuples ont encore cette vieille idée « communiste » que l’État est là pour protéger leurs libertés, l’application de la doctrine néo-libérale ne peut se faire que si la capacité de résistance de ces peuples est annihilée, d’où la mise en place de la « stratégie du choc » : le meilleur moment pour déréglementer et privatiser sera au lendemain d’un choc politique (coup d’État, déclaration de guerre), économique (inflation record, choc de la dette...) ou géo-climatique (ouragan, tsunami...). Et Naomi Klein de dresser un compte-rendu impressionnant des effets de cette stratégie au lendemain du coup d’État de Suharto en Indonésie, de celui de Pinochet au Chili, de la guerre des Malouines lancée par Thatcher, de la guerre en Irak menée par l’équipe Bush, de la crise économique après la chute du mur dans les pays de l’Est, du crack boursier en Asie, des inondations à la Nouvelle-Orléans, du tsunami... À chaque fois, le même scénario se répète : un choc se produit, laissant le pays en crise ; l’arrivée des Chicago Boys dans le staff de gestion de la crise ; la déréglementation de l’économie et la réduction des dépenses sociales ; et la suppression des libertés des citoyens lorsque ceux-ci seraient susceptibles de résister à la vague néo-libérale...
    Enfin, par cette démonstration implacable des conséquences anti-démocratiques de l’application du modèle néo-libéral, Naomi Klein veut nous faire prendre conscience du danger que courent les démocraties à ne pas résister à ce modèle, qui n’offre prospérité et liberté qu’aux plus riches, et que misère et soumission aux masses populaires. Ce danger est d’autant plus grand que les politiques néo-libérales d’aujourd’hui, surfant sur le sentiment d’insécurité sociale et économique qu’elles alimentent en refusant de mieux encadrer la mondialisation, arrivent à séduire les peuples et à parvenir au pouvoir par le biais du vote, laissant ainsi croire qu’elles n’ont plus besoin d’utiliser la terreur pour parvenir à leurs fins... Reste à savoir, maintenant, si nous voulons nous aussi participer, ne serait-ce que passivement, à ce que le sous-titre du livre annonce comme « la montée d’un capitalisme du désastre ».





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