Jean-Claude Milner
Le Pérpiple structural, Figures et paradigme
Verdier, 2008

Par Caroline Leduc


Le choix de Jean-Claude Milner d’adjoindre Foucault aux figures du structuralisme, principale augmentation de cette 2 édition, ne doit rien au hasard, ni au goût des paradoxes. Car c’est précisément sa position d’extériorité au structuralisme qui lui a permis d’en caractériser les ressorts méthodologiques et les déterminations épistémiques, en soulevant ses promesses de redistribution du savoir mais aussi ses conditions et ses limites. Au croisement du programme structural, Foucault a pu témoigner d’une certaine solidarité épistémique à son égard, mais bientôt conçue comme un bord, fondant en nécessité que sa propre démarche s’en retranche : « l’archéologie requiert le structuralisme pour [s’en] séparer. » La lecture de J.-C. Milner prend appui sur cette position limite pour reprendre, dans son actualité, une des questions majeures de l’ouvrage : celle du statut de science, et la conception de l’homme qu’elle implique.
    Dans Les Mots et les Choses, Foucault discerne la place éminente du paradigme linguistique dans le structuralisme en extension qu’il borne strictement à la linguistique, à la psychanalyse et à l’ethnologie : la linguistique est seule susceptible d’accéder au statut de science positive, et grâce à sa théorie de la structure linéaire du langage, à ses outils conceptuels et méthodologiques, elle est à même de fournir leur modèle formel aux autres disciplines et de féconder une conception structurale des expériences individuelle et sociale, dans leurs spécificités et à leur point de rencontre. Mais Foucault dénie au structuralisme qu’il ait acquis sa consistance épistémologique, la notion de structure « n’a pas encore fondé son droit à se dire mathématisée ou simplement formelle ». Il manque la preuve qu’elle soit comparable à ce qu’elle recouvre en mathématiques, et non un simple « jeu de mots ».
    L’enjeu épistémique est crucial. Selon Foucault, « le rapport des sciences de l’homme à l’axe des disciplines formelles [en effet] se ranime », « l’émergence de la structure (comme rapport invariant dans un système d’éléments) » dissipant l’exigence antérieure d’introduire les comportements humains dans le champ quantifiable.
    Pour J.-C. Milner, l’antique répartition des réalités observables entre phusis et thesis – comme ce qui ne dépend pas ou dépend de la volonté de l’homme (nature/culture selon la doxa) –, a éclaté avec la « révolution galiléenne », dépouillant la nature de ses qualités sensibles, la soumettant à l’expérience et à la mesure, expulsant dieu, enfin, de la nécessité mathématique – science et nature devenant tautologiques. D’où un paradoxe : si la science annexe la thesis à la phusis, ce ne peut être qu’au prix de naturaliser son objet et de manquer sa spécificité. Le structuralisme a proposé une réponse à cette question précise, démontrant la possibilité de traiter des secteurs de thesis selon la science galiléenne sans les dégrader en phusis.
    Par son opération de radicale « disjonction entre identité et ressemblance », le structuralisme a en effet fondé une nouvelle ontologie, contribuant à « l’effacement de l’homme » (Foucault), compris comme objet construit et positivé : l’Un ne s’y définit plus de « l’identité à soi », mais négativement, « d’un entrecroisement de déterminations multiples », en opposition différentielle aux autres entités du système considéré.
    Hélas ! la mort par épuisement du structuralisme a laissé ces questions en suspens. C’est pourtant un enjeu actuel, car « avec la fin du structuralisme [et] en l’absence d’opposition massive, on doit conclure à un avenir discernable : que les sciences humaines cèdent au penchant qui les habitent [...] et qu’elles deviennent toujours plus, le voulant ou non, des vecteurs de domestication et de contrôle. » Le « retour à Saussure » sans doute s’impose, de même que l’étude de Lacan qui a poussé le plus loin la logique du programme.


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