Mikheil Saakachvili et Raphaël Glucksmann
Je vous parle de liberté
Hachette, 2008

Par Deborah Gutermann


Lorsque le 8 août 2008, les forces géorgiennes entrent dans la capitale de l’Ossétie du Sud, les Européens se sont accordés pour voir dans ce geste une attaque « inconsidérée », témoignant de la folie du président Mikheil Saakachvili, qui ne pouvait être par ailleurs qu’un pantin à la solde des Américains. C’est pour faire entendre la voix de cette petite république sur laquelle le vent de la révolte a soufflé que Raphaël Glucksmann donne la parole à M. Saakachvili, l’interrogeant de manière serrée sur un conflit qui enseigne tout autant sur l’actualité que sur l’histoire d’une région que la vieille Europe peine à entendre, à défaut de l’écouter. Mais l’entre- tien ne se borne pas à la guerre du mois d’août, loin s’en faut. Au fil des questions, c’est le portrait d’un homme et d’une démocratie qui émergent, et c’est une leçon de courage politique qui est donnée aux Occidentaux pressés de courber l’échine devant le provocant géant du gaz. En témoignent les atermoiements de la communauté européenne en août 2008. Pourtant, nous ne pouvons plus penser, après avoir lu l’ouvrage, que les Russes, en pénétrant sur le sol géorgien avec leurs tanks et leurs chars, n’avaient entrepris qu’une normale « rotation » de leurs « forces de paix », et étaient à mille lieux de fomenter une invasion. Si M. Saakachvili a décidé de ne pas attendre un hypothétique secours des Occidentaux qui, en d’autres circonstances, avaient déjà su s’illustrer par leur passivité, il n’a pas agi en pensant vaincre héroïquement la Russie. Il voulait pragmatiquement bloquer l’avancée des troupes russes afin de laisser au monde le temps de réagir. S’il reconnaît avoir perdu la bataille de la communication, bien maîtrisée par la Russie – qui entendait faire penser que les Géorgiens étaient en train de perpétrer un génocide en Ossétie du Sud et qu’elle intervenait pour y mettre fin –, il n’empêche que la stratégie contestée de M. Saakachvili a, pour un temps, obligé la Russie au recul, et l’Europe à intervenir. Mais le problème ossète n’est pas réglé pour autant et la haine que les dirigeants de la Russie vouent à la Géorgie comme à l’Ukraine est loin d’être apaisée.
    L’entretien mené par R. Glucksmann ne permet pas seulement de prendre la mesure de l’enjeu géopolitique qui se joue dans le Caucase. Il permet également de se familiariser avec un homme politique trop souvent caricaturé, et dont le parcours étonne autant qu’il émeut. De sa jeunesse d’opposant au régime soviétique, on retient son amour de la culture occidentale en ce qu’elle porte de valeurs démocratiques et cette image d’un jeune garçon de 13 ans, se faisant passer pour un touriste afin de se procurer Le Monde dans un kiosque, en jubilant de sa réussite. Mais on retient surtout de lui l’acteur majeur du tournant historique de la Révolution des roses qui, en 2003, a mis fin au régime apparatchik d’Édouard Chevardnadze, et a entrepris la refonte complète du pays. De sa lutte contre la corruption, qui s’est soldée par le renvoi de près de 100 000 fonctionnaires, tant dans l’administration fiscale que policière, à ses efforts pour ancrer la Géorgie dans le camp des démocraties, c’est avant tout une image de courage politique qu’il donne par cet entretien. Si beaucoup critiquent son impulsivité, son attitude controversée à l’égard de l’opposition en 2007, il répond avec conviction que la Géorgie n’a pas encore le luxe de la force tranquille, et qu’elle n’a pas non plus le loisir d’avoir pour voisins « la Hollande » ou « la Belgique ». C’est sans doute ce que l’on ressent le plus vivement à la lecture de cet ouvrage : l’urgence politique qui enjoint à poser des actes forts. Un sentiment qui n’animerait plus guère beaucoup les dirigeants européens et serait l’apanage de ceux qui sont à la tête de ces petits pays instables, où rien n’est gagné et où tout se joue à chaque instant ?


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