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Numéro 2
UNIVERSAL CONFESSIONNAL
Transparence. Le mot est plaisant. Nous accordons volontiers notre
confiance à qui y prétend. Certes, le faux est haïssable, l’honnêteté
désirable. Et pourtant ! Fichage des populations, évaluation des
activités humaines, gestion des citoyens, « secret partagé »
sont des formes de transparence. La transparence sert l’intérêt
général, dit–on. En savoir toujours plus sur chacun, faute de tout
savoir sur tout le monde, concourrait au Bien commun. Est–ce là ce que
nous appelons savoir ? Escortée d’une armada de scientistes qui se font
fort d’affirmer la prédictibilité des comportements humains, la
conviction que la transparence serait désormais rendue possible par des
outils performants n’est qu’une version moderne de cette vieille
promesse de lendemains qui chantent. La transparence appliquée à la
politique intérieure promettrait plus de productivité, plus de
sécurité, plus de rentabilité, bref, le meilleur, bientôt. Aussi
l’applique–t–on dans bien des domaines de la vie sociale, de
l’entreprise à la rue, en passant par l’hôpital et l’école. D’aucuns
souhaiteraient même que sa lumière atteigne jusqu’aux divans des psys.
Partout, on invite chacun à se dévoiler et à ôter à la vérité ses
derniers voiles. L’intime se montre toujours plus à la télé et sur
internet, on s’épanche sans vergogne à la radio. On écoute, on raconte,
on s’exhibe, on traque le mensonge ou la révélation. Etrange
confessionnal en vérité que celui du Loft, où au prêtre
silencieux et discret s’est substituée la foule téléspectatrice avide
et bavarde. On se met au parler vrai, c’est–à–dire à la
langue de bois. On est soi–même.
Car la vérité est désormais à la portée du premier venu. Qu’il sache
seulement mieux voir et écouter davantage ! Voilà les nouvelles
modalités
de la transparence. Aussi bien se repère–t–elle comme idéologie
prétendant en finir avec le malheur dont l’opaque serait garant.
Le discours qui fonde la transparence ne date pas d’hier. La vie
des autres nous rappelle à point nommé que les régimes
totalitaires, au pouvoir pourtant obscur et arbitraire, en prônent
traditionnellement les bienfaits. On fait un discours neuf avec des
mots anciens – et les maux restent les mêmes. Certes, nous
n’en sommes pas là, mais cela seul devrait inquiéter. Car c’est
désormais au tour des démocraties de vanter les mérites de cette forme
de savoir appuyé sur des technologies qui lui donnent une assurance
sans précédent. Ce numéro entend faire droit à une inquiétude et
tentera de saisir le ressort d’une telle idéologie en en localisant
certains effets. Aux côtés des rares qui s’y emploient déjà, nous
attirons un regard vigilant sur ce que sature un regard voyeur, lequel
pourrait bien faire figure d’obscurantisme bienheureux.