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     Numéro 9 

LACAN LE FULGURANT

Ce numéro est spécial. Son objet d’abord est singulier. Ce n’est pas, cette fois, autour d’une notion marquant notre époque que tourne Le Diable, mais autour d’un signifiant néanmoins prégnant, un nom propre : Lacan.
La revue virerait-elle sa cuti ? Au contraire, elle rend ici hommage à celui dont l’œuvre l’oriente depuis sa création, sans ostentation mais fermement. Est-ce à dire que Le Diable probablement est une revue lacanienne ? Oui et non. Oui, parce que parmi les rédacteurs qui y collaborent, beaucoup – mais pas tous – se réclament de Lacan. Et non, parce que Le Diable n’est pas une revue de psychanalyse : il attrape le malaise dans la civilisation sans en passer par l’étude des concepts lacaniens quoiqu’il s’en serve souvent.
Ce numéro est tout entier dédié à Lacan : cette fois pas de chronique, pas de hors-champ, pas de rubrique "invités", ni de recension, mais pêle-mêle, les habituels rédacteurs de la revue et de nombreux invités qui souhaitaient témoigner ici de l’importance de Lacan dans leur vie d’artistes, de psychanalystes, d’écrivain ou d’intellectuels.
« Pourquoi Lacan ». J’ai voulu ce titre sans point d’interrogation, pour la raison que ce n’est pas, pour nous qui y avons œuvré, une question à laquelle il conviendrait de répondre, mais un préalable à nos considérations présentes. Un « Pourquoi Lacan ? » laisserait place à un « Pourquoi pas Lacan ? » L’absence de point d’interrogation marque au contraire que le choix est fait, dont il s’agit de rendre compte dans ces pages.
Ce numéro était prévu de longue date. Le comité de rédaction en imaginait l’élaboration pour son numéro 10. Le fait est cependant que – contingence dont nous avons fait nécessité – le 9 septembre 2011, marque les trente ans de la disparition de Lacan, en même temps que les 5 ans de notre jeune revue. C’était là l’occasion de nous réjouir de la vivacité de Lacan, de son actualité, et oserais-je dire, de l’avenir qui l’attend assurément.
Un mot de Lacan donc : il n’aura cessé de surprendre, de penser de travers – mais avec quelle rigueur ! – et aussi paradoxalement qu’il est possible. Auteur d’une pensée tranchante, et peut-être la plus singulière qu’il m’ait été donné de rencontrer, si je devais le qualifier d’un mot, d’un seul, ce serait de celui de fulgurant. Car il pense vite, et les détours qu’empruntent sa pensée – parfois tordue comme les cigares qu’il fumait – ne cèdent pas plus à la facilité, qu’aux fausses évidences, jamais. Ayant saisi comme peu d’autres ce qui fait l’impossible à quoi se confronte l’humaine condition et ce qui s’ensuit, il a conquis quelques esprits – et pas des moindres – comme certains le laisseront voir ici.
Parmi eux, nous donnons une place particulière à Jacques-Alain Miller : c’est que Lacan l’avait choisi pour autant qu’il avait choisi Lacan. L’entretien ébouriffant qu’il a offert au comité de rédaction du Diable probablement brosse un portrait inédit de Lacan, mais aussi, en creux, de celui qui le peint comme son « protégé ».
Un mot enfin de la postérité de Lacan. Difficile de le lire et de s’orienter à partir de son enseignement sans voir surgir, chaque fois qu’on le cite, une ligne de partage entre les « pour » et les « contre » Lacan. Les « pour » le lisent généralement ; généralement pas les « contre ». Il faut dire que sa pensée n’est pas immédiatement accessible. Pour le lire avec sérieux, il faut avoir l’idée que le jeu en vaut la chandelle, autrement dit, l’apprécier avant de le connaître. L’extraordinaire intensité des réactions suscitées par la seule évocation de son nom révèle l’actualité de Lacan. Si donc son nom ne laisse pas indifférent, il est en revanche remarquable que ceux de Sartre, Derrida, Foucault, Merleau-Ponty, Lévinas, Aron, Deleuze... mettent à peu près tout le monde d’accord, en dehors des philosophes qui les lisent et les travaillent effectivement. Sans doute ces grands penseurs du siècle dernier n’ont-ils pas autant de lecteurs que Lacan, mais – et cela va de pair – ils ont aussi moins d’ennemis. Ce fait atteste de l’incroyable présence de Lacan, 30 ans après sa mort. Lacan sera bel et bien enterré, lorsque l’évocation de son nom ne suscitera plus qu’un vague respect partagé teinté d’admiration.
Il reste pour l’heure celui qui par son style, sa singularité absolue, la force des expressions ou néologismes qu’on lui connaît, convoque chacun de ceux qui ont un avis sur lui (autant dire à peu près tout le monde !) à dire quelque chose d’eux-mêmes en se situant « pour » ou « contre » Lacan.
Finalement, les « contre » disent plus qu’une antipathie : le caractère insupportable de l’homme même, tel qu’ils se l’imaginent du moins. Le paradoxe est là : la plupart du temps, ceux-là méconnaissent Lacan – je le redis : on ne peut le lire sérieusement qu’à condition d’y travailler, et on ne travaille un tel auteur qu’à savoir qu’on y trouvera quelque chose de rare – et pourtant il leur est insupportable. Mais le paradoxe se lève si l’on songe que, Lacan leur étant inconnu ou quasi, l’insupportable en question dit quelque chose d’eux-mêmes davantage que de Lacan – et pour cause. Au che vuoi ? (Que veux-tu ? Que désires-tu ?) que le style même de l’homme provoque, ceux-là répondent : « Toi qui interroges mon désir, toi qui sondes ma volonté, tu es l’esprit du mal. Vade retro ! »
Pour ce qui concerne les « pour » maintenant, il y en a de toutes sortes. Chacun sa version de Lacan, car on ne rencontre Lacan que dans la mesure où on est prêt à le rencontrer, et jamais absolument sans doute. Certains en ont fait un dieu, voire une idole (ce qui n’est guère mieux que d’en faire un diable), d’autres sont ambivalents et, aimant Lacan, ils le critiquent abondamment, d’autres encore l’aiment à condition de se croire seuls à avoir vraiment saisi qui il était. D’autres le lisent enfin, et s’orientent de son enseignement, décidément.
Vous lirez et apercevrez ici les articles, entretiens, et œuvres dont quelques-uns des lecteurs de Lacan ont bien voulu nous faire part.

Anaëlle Lebovits-Quenehen


*Erratum : dans son entretien, Jacques Riguet fait référence au Séminaire II et non au Séminaire XX comme indiqué par erreur (p. 100).

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