• Numéro 4
NO SPORT
Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger. L'Avare sait que
passées les bornes, il n'y a plus de limite – et sa devise pourrait
être le slogan de notre époque. Partout on nous met en garde contre les
produits supposés porter atteinte à la santé. D'avertissements en
condamnations, de condamnations en injonctions, nous voici aux conseils
de consommation de quelques produits–médicaments, recommandés pour la
bonne marche de nos organismes citoyens. Car comme l'indique l'adage, «
on creuse sa tombe avec ses dents ». Mangez de l'oméga 3,
car c'est la mort que vous avalez avec votre tartine beurrée. Mangez
donc comme il convient, mais aussi bougez ! L'injonction transcende le
clivage gauche-droite ; du reste notre Président bouge comme il faut,
semble-t-il. Le corps de ce joggeur invétéré, son agitation, est
l'incarnation de la jeunesse perpétuelle exigée par l'hyper–modernité.
L'homme, proche du peuple, enjoint ses partisans à faire une heure de
sport par jour. Nous sommes loin aujourd'hui du temps où, interrogé sur
le secret de sa longévité, Churchill répondait : no sport !
Ce qu'un homme doit faire de son corps n'a rien d'une évidence, c'est
un fait. Le politique s'occupe donc dorénavant (à nouveau, devrais–je
dire) des corps. Ce faisant, il promeut à son insu une théorie du
corps. Mais l'opinion elle aussi défend des théories implicites du
corps. Il nous appartient de les faire apparaître où qu'elles se
cachent. Et justement, ces théories s'accommodent–elles encore de
l'engagement qui suppose littéralement de pouvoir mettre son corps en
gage ?
Nous interrogerons ici les pouvoirs de la science, de l'écologie, de
l'histoire aussi, de la médecine, des lois, et des arts. Et c'est
accompagnés de François Régnault, Michel Amourreti et Eric Rohmer que
nous nous proposons d'éclairer ce que la modernité entend faire du
corps.